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29/12/2006

L'Alsace et la coopération transfrontalière

Soucieux de faire avancer la coopération transfrontalière, la Fondation Entente Franco-Allemande et le DFI de Ludwigsburg ont réalisé deux opérations tout à fait majeures. D'abord, ils ont recensé en 2005 les différents organismes et institutions en charge de la coopération à tous les niveaux et ensuite, ils ont interrogé les citoyens de l'ensemble de l’espace du Rhin Supérieur qui compte près de 6 millions de personnes réparties entre le Pays de Bade, le Palatinat, la région de Bâle et l'Alsace. Le sondage a été effectué en décembre 2005 par l'Institut TNS/Sofres auprès de plus de 900 personnes.

A la lecture de ces deux réalisations majeures, on peut constater combien le travail tri- national est complexe et souvent ingrat.

La bonne volonté est sans faille, de tous les côtés et les raisons de faire ensemble apparaissent comme évidentes, mais peut-être que quelque part la multiplicité même des réalisations les rend peu visibles.
A juste titre, la Fondation FEFA s'est demandé si tout cela n'était pas que survivance du passé, bien intentionnée, sinon parfois intéressée, qu’une tentative de réconciliation après les trop nombreux conflits qui ont secoué les rives du Rhin ou si, au contraire, il y avait encore au niveau de la population actuelle et surtout de la population jeune des raisons de croire en cette chimère d'une union informelle des peuples sur les bords d'un fleuve longtemps frontière.

Or, la réponse est venue, forte, brutale, évidente. Non seulement il faut consolider les efforts accomplis mais en faire beaucoup d'autres encore. Le peuple, une fois de plus, lucide sur ses chances de succès ou d'échec a bien compris que les trois régions situées aux extrémités de leur trois pays d'origine avaient intérêt à unir leurs efforts pour ne pas être marginalisées, frontalisées, larguées dans la compétition globale.

C'est ainsi que sur l'ensemble de l'espace rhénan : 35% des citoyens pensent que la coopération fonctionne bien actuellement mais 54% demandent à ce qu'elle soit renforcée. Ainsi, près de 90% des 6 millions d'habitants de l’espace rhénan croient en la coopération et s'attendent à ce qu'elle soit renforcée. C'est une clameur qu'il faut savoir écouter.

A la base de cette exigence, il y a dans le domaine économique la peur du chômage et, en corollaire, celui du financement des retraites. Pour lutter contre ces craintes, les habitants de l'espace rhénan demandent une relance forte du bilinguisme, la mise en place d'un plan de développement économique tri-national, transfrontalier, et une mise en commun des offres et des demandes d'emploi.

A qui fait-on confiance pour une telle stratégie supra-nationale ? Curieusement, mais ce n'est pas une surprise – peu aux responsables politiques régionaux – et pas du tout aux nationaux. Mais étonnamment ils font confiance à la "coopération", « main invisible » orchestrée par les citoyens eux-mêmes, les associations et les entreprises.
On peut s'étonner de cette attitude face à des responsables politiques qui ont indiscutablement œuvré dans le sens d'une plus grande efficacité de leurs actions sans pourtant y parvenir.

En ce qui concerne l'Alsace et, sur la base de mon vécu économique dans trois grandes entreprises autrefois encore localisées en Alsace, j’en donnerai les raisons suivantes.

Quand des responsables politiques au plus haut niveau « tri-national » travaillent ensemble, c’est pour faire de grandes choses visibles et non pas une foule de petites réalisations, certes utiles, mais peu visibles et peu structurantes d’un nouveau paradigme coopératif.
Les grandes opérations qui ont manqué sont pratiquement toutes d'ordre logistique et relatives aux transports, à la notion d’unicité territoriale susceptible d’accentuer la fluidité et la mixité des populations entre les trois régions, par exemple :

1. L'aéroport de Roeschwoog
2. Le canal Rhin-Rhône
3. Les liaisons routières et autoroutières
4. Les liaisons ferroviaires


Il est clair que n'ayant pas de grande métropole structurante dans le Rhin Supérieur, ce qui est un lourd handicap, l’existence d'une plate-forme d'un hub aérien à vocation européenne et pourquoi pas transcontinentale aurait fait un bien énorme surtout au regard du rôle européen institutionnel de Strasbourg.

Le deuxième investissement encore plus inviolable et encore plus « définitif », aux conséquences économiques, écologiques et touristiques quasi-incalculables eut été la création d'un grand canal Rhin-Rhône qui aurait relié la Méditerranée à la Mer du Nord et aux villes de la Russie à travers le réseau très dense des canaux de l'Europe septentrionale. Stocks flottants, pondéreux, transports de matières dangereuses, mais aussi réseau fluvial touristique, on ne peut imaginer la centralité, la géo-centralité qu'une telle réalisation nous aurait apportée. Le « fleuve frontière » serait devenu l’axe central. Mais « ne rêvons plus », dit un haut responsable régional parlant de cette « chimère ».

Je passe rapidement sur les décennies qu'il a fallu pour mettre en place une simili-autoroute entre Wissembourg et Bâle, sur la lenteur des projets VLIO ou du grand contournement de Strasbourg pour déplorer qu'en ce qui concerne les liaisons transfrontalières aucun progrès notable n'a été réalisé. Le pont Pierre Pflimlin mériterait une meilleure connexion avec les autoroutes françaises et allemandes.

Regrettons cependant aussi, en passant, le fait que nous cherchons maintenant à entraver définitivement le trafic routier Nord-Sud et Sud-Nord par des taxes et des péages annulant ainsi plus encore la chance que nous avons d'être placés sur un tracé géographique majeur. Nous voulons absolument nous débarrasser de ces nuisances autoroutières insoutenables du fait du « piège » que nous avons nous-mêmes installé par manque total d’anticipation.

Pas d'avions, pas de bateaux, pas de camions, mais peut-être alors des trains. IL est bien venu ce TGV même s’il n’est pas GV sur tout le parcours. Il est connecté sur un très bon réseau TER, mais il faut se souvenir, que pour l’instant, nous sommes en bout de ligne sans connexion avec l’Allemagne et l’ensemble de l’Europe.
En résumé, l'Alsace, petite région française excentrée, n'a pas investi judicieusement pour se situer dans un carrefour d'Europe inviolable et incontournable telle qu'elle aurait pu le faire.

Quelles sont maintenant ses chances de corriger ses erreurs et de reprendre du poids et de l'attractivité pacifique, cette fois, pour se créer un futur digne d'elle ?

Pourquoi pacifique ? Parce que son modèle de développement est particulier et ancestral. L'Alsace, depuis les Romains et même avant, a toujours été considérée comme une région riche. Que son économie soit agraire, rupestre ou industrielle, de plus elle était idéalement située au cœur de l'Europe. Son modèle de développement était le suivant : attraction, invasion, destruction, reconstruction. Il a hélas joué trop de fois dans l'histoire de notre province et plus personne n'ose imaginer un nouveau scénario de ce type.

D'ailleurs, comme je l'indiquai, la notion de richesse a évolué aussi avec le temps. La chasse, la pêche, la sylviculture et la polyculture ne représentent plus grand-chose dans notre PIB. Ce sont pourtant encore des atouts dont il nous faudra tenir compte.

Aujourd'hui, les richesses sont d'une autre nature : investissements, main d'œuvre qualitative et quantitative, accessibilité, disponibilités foncières, PIB des citoyens, recherche et innovation, capacités d'attraction, jeunesse démographique etc.

Comment pouvons-nous nous situer dans un avenir de 10 ou 20 ans ?

C'est toujours un exercice difficile que nous abordons dans le club de prospective RHIN 2020 de la FEFA, mais on peut quand même esquisser quelques certitudes.

La configuration géo-politique a totalement changé. Rappelons-nous cependant qu’en vingt siècles, l'Alsace n'était française que durant deux cents ans.

Aujourd'hui, avec l'abolition du mur de Berlin et l'élargissement de l'Europe, on peut dire que notre province est de nouveau fortement secouée sur son socle. Elle risque cette fois même, ce qui est contraire à tout ce qu’elle a vécu, d’être marginalisée ou même oubliée.

Elle reste pour l’instant un curieux îlot de progression démographique et de solde migratoire positif dans une vaste zone environnante allemande, suisse et française en proie à la dénatalité, au vieillissement et au solde migratoire négatif.

Cette singularité est due au fait que le taux d'emploi des femmes est encore assez bas et que la natalité est bonne et que l'activité économique, soutenue jusqu'en 2000, a attiré beaucoup de jeunes en recherche d'emploi.
Les projectionnistes estiment que nous tiendrons une tendance ascendante positive jusqu'en 2030. Ce qui serait exceptionnel et bien sûr souhaitable.

Mais pour cela il nous faut conserver assez de richesse pour créer des emplois.

Ou soyons clairs ! Si l'Alsace a connu un essor économique, social et démographique malgré les absences d'infrastructures évoquées plus haut, c'est grâce, bien sûr, à la qualité de notre main d'œuvre, à sa docilité, et à l'importance des investissements étrangers dus à un très bon travail de prospection, qui ont généré des emplois endogènes, mais aussi à cause du « prêt » de 70000 travailleurs alsaciens qui ont pu trouver un emploi en Allemagne ou en Suisse en tant que travailleurs frontaliers.

Une baisse des investissements étrangers telle qu'elle est prévisible et un moindre appel de la part de nos voisins allemands et suisses à notre main d'œuvre auraient des conséquences dramatiques sur notre économie.
Avec 8,8% de demandeurs d'emploi, l'Alsace a le taux de chômage le plus élevé de l'Espace Rhénan (Pays de Bade : 6%, Palatinat : 7,3%, Nord de la Suisse : 3,7%).

Sans les frontaliers, nous aurions un taux de chômage de plus de 15% ! Un désastre que personne ne veut imaginer mais qui peut se produire si le bilinguisme n’est pas fortement relancé.

Tout ce tableau pour dire que les mesures qui sont à prendre sont des mesures énergiques et que nous ne pouvons PLUS poursuivre le jeu des grandes erreurs.


Que faut-il faire ?
  • Créer une seule agence trinationale de développement.
  • Un seul organisme en charge de l’élaboration d‘ « un projet macroéconomique et social tri-national » sur base des opportunités et des menaces de la région. Non pas des rencontres périodiques mais un organisme permanent, composé de personnes dont c’est la seule activité.
  • Impliquer les citoyens en développant chez eux un sentiment d'appartenance à cette petite Europe rhénane que nous formons sur les rives du Rhin Supérieur.
  • Identifier les projets dans les domaines de :
    • l'innovation
    • l'exportation
    • la recherche
    • l'enseignement
    • le tourisme
    • les infrastructures
    • la santé
    • l'écologie et la défense de l'environnement
    • les pôles de compétitivité
    • lobbying à Bruxelles
  • Etablir un planning commun
Le constat est clair, les attentes sont fortes, les responsables politiques des différents pays rhénans sont au demeurant d'accord pour dire que, prise isolément, chacune des régions qui composent la conférence de l’espace rhénan a très peu de chances, voire aucune chance de s'en tirer.

Alors qu'attendons-nous?

L'allusion aux différences politiques, réglementaires, monétaires ou administratives n'est pas à mes yeux suffisante pour empêcher l'action. Ce sont souvent des objections excuses. Une volonté politique forte, partagée, soutenue par un engagement citoyen massif, ce qui est le cas, est un support considérable pour accentuer nos actions communes.

Tout investissement structurel lourd (aéroport, ponts, routes, fer), tout investissement dans la recherche, le développement durable toute opération de grande envergure (pôle de compétitivité) ou de grand rayon d'action (Exportation ou tourisme réceptif) doivent être discutés en commun et réalisés ensemble ou au moins en synergie.

Notre avenir est dans une seule Région Métropolitaine Européenne. Merveilleux projet, pilotons-le ensemble.


Alexis Lehmann
FEFA
Club de Prospective RHIN 2020
15.12.2006

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