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08/03/2010

LA FRANCE COUPÉE EN DEUX

René UHRICH avait, en 1984, déjà dénoncé ce phénomène dans un livre appelé « La France Inverse ». Nous avions plus de 25 ans pour en tenir compte et essayer de lutter contre ces forces qui semblent indomptables. Las, il apparaît, dans les DNA du vendredi 5 février, dans un article illustré d'Antoine Latham, que le mal est loin d'être traité. Les trois cartes de la France démographique et de l’emploi publiées ce jour là, reposent, un quart de siècle après, les mêmes questions de fond.

A problème systémique, réponse systémique. Si nous ne nous attaquons pas aux racines de cet état de fait, le tableau sera pire demain. Nos "basiques" n'ont évidemment pas changé.

L’Alsace est toujours à l'est d'une France qui se délite de plus en plus vers là où « il y a le ciel, le soleil, et la mer », et toujours à l'est d'une France qui perd ses industries manufacturières dont notre région est particulièrement pourvue. Les problèmes d'accessibilité ont certes un peu évolué, mais n'ont rien changé quant au fond. Le canal Rhin –Rhône est oublié et nos aéroports, en concurrence, peinent à rester dans la course. Le TGV, certes, après plus de quarante ans, a remplacé le train classique. Mais déjà la SNCF a donné quelques signes de recherche de productivité sur les lignes transverses. N'en doutons pas, ces idées reviendront.

Je connais bien l'Alsace, j'y suis né. J'y ai travaillé dans des entreprises de production, de distribution et de services. Nous avons toujours de solides atouts, mais nous ne pourrons les valoriser que si nous changeons notre niveau de vision pour le futur. Un niveau de vision qui se rapproche d'ailleurs des simples logiques d'opinions. Car, bien sûr il y a la crise, conjoncturelle, financière, monétaire, sociale, mais ce n'est pas un argument pour attendre de traiter nos problèmes structurels. C'est bien le contraire. C’est maintenant qu'il faut insérer l’Alsace dans un modèle européen et tri-national de croissance économique et sociale.

Revenons à nos deux basiques :

- la localisation dans l'est de la France

- le caractère industriel et manufacturier de notre industrie.

Si nous voulons bien quitter nos lunettes franco –françaises, nous nous rendons vite compte, en regardant une carte, que l'Alsace n'est pas un cul de sac pré sibérien mais qu’elle est adossée à une des provinces les plus riches d'Allemagne et aux cantons les plus riches de la Suisse. Il faut donc reconsidérer notre devenir sous l'angle de notre appartenance à la Région Métropolitaine du Rhin Supérieur.

Les frontières sont abolies avec l’Allemagne, la Suisse a rejoint Schengen, nous avons une monnaie commune dans deux pays et acceptée dans le troisième, rien n'est plus comme avant. Il faut donc aller plus loin, voir plus loin et considérer que rien de "macro", que rien d'important, ne peut plus être réalisé de manière unilatérale : qu'il s'agisse d'économie, de recherche, d'université, de logistique, (route, fer, eau, et air), d'emploi, de formation, à fortiori d'écologie et de développement durable et soutenable. Toutes ces questions nécessitent une approche politico-économique commune. La Région du Rhin Supérieur, au cœur de l’Europe, doit se lancer dans des projets communs qui sont de nature à réagir contre cette idée stupide "d'excentration". Certes, nous sommes excentrés par rapport à Berlin, Bern et Paris et, sous cet angle administratif, les trois régions rhénanes mènent quelque part le même combat. Par contre, nous ne sommes certainement pas excentrés par rapport à nos marchés et à nos opportunités de développement.

Créer la Région Métropolitaine du Rhin Supérieur est une idée issue des autorités politiques locales de la Conférence du Rhin Supérieur, mais, curieusement, les freins et les pesanteurs pour la réaliser dans les faits semblent provenir également de ces milieux, aux niveaux nationaux cette fois.

Or une reconsidération de ce nouveau territoire, de ce nouveau terreau étendu d'initiatives et d'ambitions, sera de nature à assurer ici l'emploi des générations actuelles et futures et à stimuler les initiatives dans tous les domaines.

Les populations, elles, ont compris depuis longtemps que le salut de ces provinces rhénanes, allemandes, suisses et françaises, était dans un renforcement des synergies et des complémentarités dans les domaines majeurs. (Sondage TNS –Sofres de la FEFA).

Mais aucune nouvelle Région ne peut exister sans la prise de conscience de sa réalité et de ses ambitions par les habitants qui y vivent. La Fondation Entente Franco Allemande et l'Institut Franco-Allemand de Ludwigsburg ont fait des propositions dans ce sens avec la "Stratégie du RHINO".

C’est une stratégie d’identification pour une région de 22 000 km², de six millions d’habitants, de 180 Milliards d'euros de PIB, totalement pertinente au niveau de la compétition mondiale.

Il ne s'agît pas de faire de l' autonomisme ou du scissionnisme, il n'est pas question d'abandonner les identités nationales, mais de profiter à plein des avancées de l' Europe et des avantages que nous pouvons en tirer en matière de coopération de proximité.

Ainsi l'Alsace, loin d'être le parent pauvre de l’hexagone dont le centre de gravité se déplace de plus en plus, ferait en fait partie intégrante d’une nouvelle configuration de régions européennes où elle serait, de facto, génialement placée pour son futur.

En ce qui concerne maintenant le caractère industriel manufacturier de notre économie, il ne faut pas s'attendre à un retour au passé et s'orienter vers une industrie à valeur ajoutée beaucoup plus forte ainsi que vers les services.

Nous avons des atouts dans ces domaines, même si toutes les régions d'Europe se tournent vers des objectifs similaires. Notre université regroupée est prometteuse, nos ambitions dans les sciences du savoir, dans les bio-sciences, dans le génie génétique et dans la chirurgie de pointe sont des points forts.

Pourtant je pense que deux de nos grands gisements d'avenir et d'emploi sont le tourisme et l’artisanat. Le tourisme d'hier qui fait que l'Alsace soit connue dans le monde entier pour la beauté de ses petits villages pittoresques, de ses marchés de Noël… Mais aussi le tourisme de demain, étendu à l'ensemble du Rhin Supérieur qui recèle d'autres splendeurs et des valeurs universelles. Parmi celles-ci, l’Europe et ses valeurs d'humanité.

À l'heure où l'Europe est menacée, affaiblie, attaquée sur ses bases, monétaires, éthiques et sociales, il faut que Strasbourg insuffle une fois encore aux peuples européens la volonté de poursuivre cette remarquable construction politique et démocratique. Mais, pour ce faire, il faut rendre ces concepts visibles et accessibles au grand public.

L'Europe a ses "Palais", à Bruxelles, à Luxembourg et à Strasbourg. Palais strictement réservés aux princes politiques de l'Union. Mais l’Europe n'a nulle part de "Temple" où ceux des 500 millions de citoyens de l’Union, qui ont foi dans le projet européen, puissent se rencontrer, se ressourcer, reprendre les fondamentaux et peser sur les élus.

Que Strasbourg se lance enfin, sur socle de l'Eurodistrict, dans cette voie, et nous verrons se développer autour des activités purement touristiques et artisanales, tout un large secteur d'activités et de sciences connexes, de maillages et de synergies autour des thématiques européennes.

A ce moment là, nous pourrons reprendre aussi les questions d'accessibilité. Le jour où nous aurons des visiteurs, nous aurons aussi les avions et les trains… Le contraire est faux. Si nous entreprenons, sous la perspective de ces deux chantiers industriels majeurs : Rhin Supérieur et Attractivité Européenne, nous présenterons dans dix ans une toute autre carte d'Alsace à nos compatriotes.

 

 

Alexis Lehmann

 

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